Mindanao : région rebelle, exclue de la politique philippine ?

Thomas Clavet
7 Août 2013



Depuis Novembre 2009, les Philippines sont considérées comme le deuxième pays le plus dangereux pour la pratique du journalisme, juste derrière l’Irak. La raison de ce classement ? Lors du massacre de Maguindanao, province de Mindanao, île considérée comme la plus dangereuse des Philippines avec l’archipel des Sulu, 34 journalistes ont été sauvagement tués.


Massacre de Maguindanao | Crédit Photo -- mtholyoke.edu / solopos.com
Massacre de Maguindanao | Crédit Photo -- mtholyoke.edu / solopos.com
Lors du massacre de Maguindanao, province de Mindanao, île considérée comme la plus dangereuse des Philippines avec l’archipel des Sulu, 34 journalistes ont été sauvagement tués au cours d’un déplacement avec un futur candidat pour le poste de gouverneur de la province de Maguindanao. La tuerie - commanditée par le père du candidat adverse et lui-même gouverneur sortant - est classée par le Comité de Protection des Journalistes, comme le plus important massacre de journalistes de l’histoire moderne*. Ce n’est cependant pas le seul massacre qui a eu lieu sur cette île du sud des Philippines. Le pays est à majorité chrétienne, mais une frange de la population est aussi musulmane, du fait de l’influence malaise et indonésienne historique venant du sud. Dès lors, des tensions entre le gouvernement religieusement conservateur et les minorités musulmanes du sud ne sont pas rares - malgré une assimilation concrète de cette minorité au sein de la société, administrative notamment. Quelles sont les origines de ces tensions, comment se manifestent-elles et comment sont-elles instrumentalisées ?

Le Front Islamique de Libération Moro (MILF)

La population musulmane représente 6% de la population de l’archipel de Mindanao-Sulu, en faisant la minorité la plus importante de cette région. Les moros - population de confession musulmane - du sud des Philippines tirent leurs influences de la Malaisie et de l’Indonésie avec la pénétration commerciale de ces derniers au cours du XIIIe siècle. L’arrivée des colons espagnols et les programmes gouvernementaux du XXe siècle de colonisation sponsorisée de Visayans - ethnie chrétienne originaire de l’archipel des Visayas - a aboutit à la réduction, en proportion, importante de la présence moro dans l’archipel. C’est alors que le Front moro de libération nationale (MNLF en anglais) a été créé pour défendre la cause moro. Divers affrontements entre cette milice nouvellement créée et le gouvernement ont eu lieu dans le sud des Philippines. En 1976, un accord de paix est signé entre les deux factions sous l’auspice de la Libye. Cela n’empêche pas les franges extrémistes de l’organisation de continuer leurs exactions sous la bannière d’une nouvelle entité : le Front Islamique de Libération Moro (MILF en anglais). Sa dénomination reste dans la continuité de son organisation mère et a pour but de défendre les moros et de réclamer une autonomie pour ces derniers.

Les divers crimes commis par cette milice ont poussé le gouvernement, à la chute du dictateur Marcos, à engager un processus de pacification et de négociations dans la région. Il aboutit à la création d’une région : la « Région autonome pour les musulmans de Mindanao » qui regroupe quatre provinces. En parallèle est mis sur pied le « Conseil pour la paix et le développement du sud des Philippines ». Néanmoins, ces créations nouvelles du gouvernement philippin ne seront acceptées que par le MNLF et les fractions extrémistes du mouvement ont continué leurs crimes au sein de la région. Les revendications de ces franges étaient la création d’un véritable État islamique (qui incorporerait la partie méridionale de Mindanao et l’archipel des Sulu) et non pas uniquement d’une région autonome. Cependant, ces revendications politico-religieuses ont échoué et le gouvernement philippin n’a pas fait d’autres concessions concernant ces dernières.

Une instrumentalisation religieuse

L’obstination du gouvernement philippin à ne faire aucune concession a attisé les rancœurs des franges extrémistes de ces mouvements. Mais par-dessus tout, cela a entrainé un changement de dialectique des rebelles. Au début des années 1990 est créé le groupe Abu Sayyaf, aujourd’hui répertorié comme un des groupes terroristes les plus dangereux reliés à Al’Qaïda**. Dans un premier temps, ce dernier partage les revendications du MILF dans la création d’un état islamique au sud des Philippines. Cependant, le groupe a très vite fait de l’instrumentalisation religieuse son gagne-pain. Ses membres, entrainés en Afghanistan, sont rapidement devenus des experts de la prise d’otage. Leurs revendications religieuses ne sont alors devenues qu’une façade à un trafic mafieux d’otages, bien plus lucratif.

Malgré l’instrumentalisation religieuse flagrante de la part d’Abu Sayyaf, ses exactions ont entrainé le retour du protecteur américain au sein de son ancienne base asiatique. La dialectique américaine est double dans ce retour. L’idéologie de la guerre préventive est la raison invoquée par ses derniers pour leur retour. Leur guerre contre le terrorisme en tant que protecteur du monde est, selon eux, indispensable à Mindanao car le groupe Abu Sayyaf menace l’ordre mondial. Cependant, cette raison idéologique peut en réalité cacher une réalité bien différente, celle de la domination économique. Les Philippines sont placés au carrefour de pays à très fort potentiel économique que sont la Chine, la Thaïlande, l’Indonésie et la Malaisie. Avoir une positon si stratégique apparaît alors indispensable pour les États-Unis s’ils veulent continuer à être une puissance économique majeure.

Un retour inespéré à la paix ?

Du point de vue du territoire philippin, la plus grande menace aujourd’hui est la mise en place de véritables zones de non-droit par ces milices. Les autorités de Manille n’ont plus aucun contrôle sur ces zones, notamment de par les menaces de ces derniers avec les prises d’otages de personnalités religieuses. L’instrumentalisation religieuse revêt un aspect important du conflit entre rebelle et gouvernement, mais n’est en réalité qu’une image qui cache la réalité du problème. Ce dernier n’est pas tant religieux, mais est bien plus consubstantiel à la société philippine qu’il n’y paraît. Cette dernière est très fortement corrompue et la complicité de la bureaucratie n’est pas rare. De plus, la fraction pauvre de la population est très largement mise à l’écart au profit d’un nombre réduit de très riches.

Malgré les efforts récents du gouvernement, à la suite des élections, pour ouvrir des négociations de paix avec les autorités locales et le MILF, les franges extrémistes restent encore et toujours actives. Néanmoins, l’effort premier du gouvernement devrait être la réduction de la corruption.


* Considéré par le CPJ comme le plus gros massacre depuis le début des relevés d’informations sur ce sujet par ce comité en 1991.

** Plusieurs femmes de Oussama Ben Laden étaient originaires de l’archipel des Sulu. Pour aller plus loin, se référer au lien ambigu avec le groupe égyptien Al Gama Al Islamiya lors des attentats du World Trade Center de 1993



Pour aller plus loin

- Bertrand Romain, « L’affaire de prise d’otages de Jolo : un exemple de criminalisation du politique en Asie du Sud-Est », Revue internationale et stratégique, 2001/3 n°43
- Klen Michel « L’exception philippine », Études, 2002/6, Tome 396 
- Ricordeau Gwénola, « Les Philippines de Cory Aquino à Benigno Aquino » Vingt-cinq ans après la transition démocratique, Mouvements, 2011/3 n°67
- Ryan Rosauro et Allan Nawal, « Civil society groups press MILF, gov’t to speed up peace process », Inquirer News

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